Monday, February 21, 2011

le retour


Voilà, je suis bien revenue au Québec… après beaucoup trop d’heures de transit. Je suis partie à 15h de Bobo en autobus vers Ouagadougou… Arrivée à 20h. Vol de Ouagadougou vers Paris à 23h30, arrivée à 5h55. Départ de Paris vers Montréal à 13h30, arrivée à Montréal à 14h50. Total 28 heures de voyageage. Donc je suis au Québec depuis jeudi après-midi, et depuis j’essaie de retrouver mes repères. Je suis vraiment contente d’être rentrée, mais c’est quand même une adaptation. Puis je ne suis pas dans mes affaires, je dois ressortir des boîtes et des valises mes effets d’hiver, de toilette, de tout ce qui constitue un quotidien. J’essaie de prendre le temps de revenir, mais après un mois d’ennui, c’est difficile de me freiner pour prendre le temps de digérer toutes mes émotions. Je sais que je dois le faire. Je le sais. Et je suis tellement bien entourée.
Ah est-ce que je vous avais dit que ma mère et son chum sont partis en Martinique début février et qu’ils reviennent ce soir… en n'ayant aucune idée des aventures qui me sont arrivées ni que je suis finalement revenue. Hey maman, I’m back! M’ennuie de ma mère, en tout cas!

Derniers jours

Samedi avant mon départ, Ève et moi devions aller voir un patient à domicile. C’est un patient de Simon mais comme celui-ci était parti conduire sa mère à l’aéroport, Ève devait aller lui faire ses injections. Quand nous sommes arrivées, il faisait noir. Il n’y avait pratiquement pas de lumière dans la pièce, et je ne voyais qu’une boule enroulée dans des tissus, directement sur une natte recouvrant le plancher. Ève a demandé au patient (que j’appellerai Yan, nom particulièrement non-burkinabé pour être sûre de garder l'anonymat!!) de se tourner pour qu’elle puisse lui faire ses injections dans chaque fesse. Yan ne pouvait pas parler, ne pouvait pas bouger. Ève l’a tourné sur le côté, puis sur l’autre, et a dit qu’elle reviendrait le lendemain, et si c’était possible de le tourner fréquemment, ça éviterait les plaies de contact. On est retourné dans le taxi avec Abou, et là ça m’a frappé. Yan n’a pas pris ses médicaments pendant un bon bout de temps, assez longtemps en tout cas pour que ses CD4 descendent en bas de 50 (normale entre 600 et 1600 il me semble), ce qui a causé une toxoplasmose, une masse au cerveau qui maintenant l’empêche de bouger, parler… Cette masse peut être résorbée facilement avec le bon traitement. S’agit d’avoir le bon traitement. Yan n’aurait jamais pu se payer le traitement, Yan et sa famille peuvent à peine se payer de l’eau et de quoi manger tous les jours. Je vous jure, dans sa condition, moi j’aurais baissé les bras. Je ne saurai jamais comment il s’est rendu là, pourquoi il n’a pas pris ses médicaments pour le VIH (gratuits), pourquoi il s’est laissé dépérir à ce point-là.
Le lendemain, Ève a apporté ce qu’il fallait pour laver Yan, a apporté un matelas pour diminuer les plaies de pression (qui avaient déjà commencé, évidemment), un oreiller, et une chaise inclinée pour le faire changer de position et faciliter le lavage. Yan était en mesure de dire « ça va ». Nette amélioration! Et c’est là que j’ai appris qu’il avait 25 ans (j’aurais donné 50 ans à la boule la veille dans le noir), que comme il a le sida, personne sauf sa mère ne veut le toucher et prendre soin de lui. Mais sa mère est minuscule et ne peut pas le bouger, le tourner et faire tout ce qu’il y a à faire pour prendre soin de lui! Pas toute seule! Alors les toubabous que nous sommes avons montré l’exemple. On l’a donc lavé, partout, puis crémé et massé pour ramener la circulation dans ses muscles, changé les draps imbibé d’urine. Il souffrait visiblement, même s’il ne parlait pas ses yeux restaient attentifs et très conscients. Il y avait plein de monde dehors, probablement des frères et sœurs, d’autres membres de la famille. Et personne ne nous aidait. On était Abou, Ève et moi. On a replacé Yan sur son matelas, Ève a donné ses instructions à la mère, le changer de position toutes les heures, sortir le matelas pour qu’il sèche tous les jours, bouger les articulations de Yan pour ne pas qu’il perde toute sa mobilité. Simon reviendrait le lendemain pour faire les injections.
La mère nous a raccompagné au taxi, le regard plein d’émotion (car chez ces gens-là, on ne pleure pas), nous bénissant de tout son cœur. J’ai à peine eu le temps de fermer la porte que moi je me suis mise à pleurer. Pleurer l’injustice de voir cette mère faire tout ce qu’elle peut en se doutant bien que ce ne sera pas suffisant. Et être seule là-dedans. Mais la mère ne baissait pas les bras. Et ne baisserait jamais les bras. Je pleurais pour la mère. Et je n’arrivais pas à arrêter de pleurer. Ève et Abou m’ont amenée prendre une bière pour décompresser. J’étais vraiment sous le choc. Et j'aurais aimé vivre ça avant, pouvoir me sentir utile comme ça avant. Mais ça ne changeait rien, et que je sois là ou pas Yan aurait les traitements. Mes regrets étaient pour moi.
Le lundi, comme le dépistage en brousse a été annulé, nous sommes retournés le voir, il y avait amélioration dans son état, mais la lueur d’espoir dans son regard avait disparu. La mère semblait toujours aussi combattante, mais quelque chose clochait. J’avais été super optimiste la veille, mais je me remettais à douter. S’il n’y mettait pas du sien, malgré tous les soins qu’on lui donnerait, il ne retrouverait pas la santé, c’était clair.
Mardi je suis allée dire bye aux gens de REVS+. J’étais contente de voir Christèle et Lassiné, un homme qui travaille à la pédiatrie de l’hôpital et que j’avais croisé quelques fois à REVS+. J’ai fait mes bagages, j’étais en paix, les derniers jours se passaient bien, avec Ève c’était plus simple et agréable. Et je rentrais chez moi dans 1 dodo.
Mercredi matin, Ève m’a demandé si je voulais aller voir Yan une dernière fois. Mes bagages étaient prêts, on avait le temps, bien sûr que je veux aller le voir. On est arrêté acheter 30 œufs, des sardines et du riz, pour l’aider à se remettre avec des protéines. On dirait que chaque fois que j’entrais dans la pièce où il était couché, je me sentais démunie, pas à ma place. Jusqu’au moment où on commençait à le laver, à le masser, à lui parler. Et là j’étais en contact, et j’étais bien. Il parlait de plus en plus, pouvait bouger sa tête, ses bras et un peu ses jambes. À un moment je lui ai dit « Yan, je rentre au Canada cet après-midi, donc on ne se verra plus, mais je vais prendre de tes nouvelles par Ève et je vais suivre ta progression. Il faut t’accrocher, et guérir, tu es sur la bonne voix ». Il m’a regardée et sans aucune expression faciale a répondu « Je veux aller au Canada aussi ». Et j’ai éclaté de rire. Il était décidément sur la bonne voie. Après l’avoir lavé et massé, après qu’il ait réussi à manger toute une boîte de sardines par lui-même, nous l’avons réinstallé sur son matelas et je lui ai dit au revoir. On est sorti, et c’est là que j’ai trouvé ça le plus dur. Je me suis approchée de la mère, et on s’est prises dans nos bras. J’étais tellement émue. Soyez courageuse, il va bien aller, je vous souhaite une belle vie, ainsi qu’à toute votre famille. J’avais du mal à la lâcher. Elle m’a fait promettre de saluer tout le monde au Canada, toute ma famille. Alors je vous dis à tous bonjour de la part de la maman de Yan. J’ai réussi à ne pas pleurer, parce que chez ces gens-là, on ne pleure pas. Mais je n’oublierai jamais son regard, son visage.
Ève ne m’a pas encore donné de ses nouvelles, mais je sais qu’elle le fera. Et je sais que l’argent que j’ai ramassé avant de partir va aider cette famille à remonter la pente.

Ève et Abou m’ont amenée à l’autobus. Si vous saviez tout ce qui peut entrer dans le dessous d’un autobus! Des motos, des 20 kg d’oignons… « Merde, j’ai oublié d’acheter un sac d’oignons! ». On placotait un peu en attendant puis Abou a dit « Amélie, il faudrait peut-être penser à acheter tes oignons avant qu’il ne soit trop tard »! Cher Abou, qu’est-ce que tu veux que je fasse avec un sac d’oignons! C’était une blague! Cher Abou. On s’est dit au revoir, « sans rancune sans regrets ». J’étais soulagée qu’on se quitte sur une bonne note.

Dans l’autobus, j’ai vécu mes derniers moments de pure Afrique. À la radio, un mélange de musique africaine, de Francis Cabrel, de Jean-Jacques Goldman, et bien sûr, We are the world, avec tout l’autobus qui chante le refrain. Ah la la!


Préjugés prédépart revisités
Je vais être malade...
Eh bien oui, j’ai été malade. Rien pour me rapatrier, mais assez pour me faire pleurer. Je savais que j’étais entre bonnes mains avec Ève qui est infirmière, et je lui dois une fière chandelle. Je vois mon médecin cet après-midi pour m’assurer que la guérison va bien.

Je vais perdre 20 livres
Malheureusement non. Tout au plus 10, que je devrais sans doute reprendre quand je vais reprendre goût à la nourriture. Pendant mon séjour,j’ai quand même mangé mon quota de riz sauce, et de sandwich à la viande hachée. Je ne peux pas dire que le Burkina soit réputé pour sa fine cuisine, mais je n’ai pas eu faim!

Je vais trouver ça tough, je vais être révoltée...
J’ai effectivement trouvé ça tough. Ève avait raison. Ce n’est pas « beau » le Burkina. C’est sec, poussiéreux, pas du tout moderne. On ne peut pas se dire « Aujourd’hui, j’oublie que je suis ici et je me paie une journée à l’occidentale. » Le décor nous rattrape. Mais ce n’est pas laid non plus. C’est juste pauvre, sec et poussiéreux. Il faut dire que je ne suis pas venue à la bonne saison. Il paraît que pendant la saison des pluies, c’est vert.
Contrairement à ce que j’avais vécu en Côte d’Ivoire, je n’ai pas été envahie physiquement, les gens n'étaient pas dans ma bulle. Mais d’être toujours sollicitée « hey Toubabou hey la blanche hey la blanche la blanche la blanche la blanche » jusqu’à m’arracher un « bonjour ça va et chez vous et la santé… »… Je ne m’y suis pas habituée et ça m’a enlevé complètement l’envie d’aller me promener.
C’est ce qui m’a manqué le plus, les contacts humains. Simples. Je ne pouvais pas m’attendre à avoir des contacts d’égal à égal (il ne faut pas se leurrer, on n’est pas perçu de la même façon quand on a la peau blanche, jamais), mais j’espérais qu’à la longue, je finirais par avoir des amis. Avec qui aller me promener, avec qui aller boire un verre. Mais je ne me suis pas rendue là. J’ai flanché avant. Je pense que quelque part, c’était comme pour le travail, une partie de moi me disait « et si tu restes, malheureuse, et que rien ne change, pourquoi auras-tu tant attendu? » J’avais atteint ma limite. Et je m’en rends compte encore plus maintenant quand je me retrouve avec mes amis et que j’ai envie de pleurer tellement je suis reconnaissante d’être tant aimée. Même si pour le moment je le prends à petite dose. Je prends le temps de revenir.

Comme je l’écrivais à ma marraine, une chose s’est clarifiée, ma place à moi est en occident. Je regarde Ève qui est bien à Bobo, c'est là chez elle maintenant. Et je trouve ça formidable. Pour moi l'important est de savoir où on se sent chez soi. Mais je n'ai jamais été malheureuse en occident, je ne suis pas outrée par nos façons de vivre même si je demeure profondément critique. Je crois que chaque peuple a ses souffrances et ses joies. Et ses défis. Je disais avant de partir pour l’Afrique que j'étais oui une intellectuelle mais que j'avais besoin aussi de l'humain. Peut-être ai-je visé trop haut en allant le chercher là. Peut-être que les défis sont trop grands pour moi.
Je pensais que ça me nourrirait d’être au Burkina, plus proche de l’humain, mais je n’ai rien vu que je ne connaissais déjà. En fait, la première réalisation que je fais, c’est que d’après moi, le problème se situe non pas dans les soins, mais dans l’éducation. L’éducation pour avoir une ouverture au problème de la pollution qui est criante, hallucinante. Au problème de l’hygiène, au problème de la malnutrition, au problème du VIH. Si on n’en est pas conscient, si les parents n’en sont pas conscients, les enfants grandissent là-dedans sans se poser de question. Et le problème reste. Je ne suis pas nourrie par la pauvreté, par la maladie. Ça me rappelle la chance que j’ai, la chance qu’on a, mais je ne suis pas convaincue qu’en restant là-bas j’aurais pu grandir encore. 

N'empêche, je suis contente d'être allée. C'était un rêve que j'avais depuis si longtemps, et j'avais besoin d'aller voir. Je suis convaincue que ce type d'aventures convient à certains, et je pense que dans d'autres circonstances, j'aurais pu y trouver mon compte. Cette expérience m'a beaucoup appris sur ce que je suis et ce que je veux. Je ne regrette rien et je remercie toutes les personnes qui ont été là pour moi, au Burkina et ailleurs dans le monde.
Merci à tous d’avoir partagé cette aventure avec moi. Merci pour votre support. Au plaisir de vous revoir

Petits clins d'oeil 


Un petit feu de poubelle pour bien se réchauffer!


Hum... je prendrais bien ce pantalon, non, celui à la branche du dessus!


Pas besoin d'entrer voir, tout est là pour le plaisir des yeux!

 Est-ce que vous voyez bien ce qu'il transporte, le monsieur? Et on les entendait crier, ces pauvres bêtes!

J'ai quand même réussi à freiner mes élans de magasinage, même si pour les motos et les souliers, ça a été dur vu le grand choix offert!


1 comment:

  1. Chère Amélie,
    on ne se connaît pas beaucoup, mais je suis fière de toi ! Tu es allée au bout de ton rêve, tu as tout donné, avec le coeur toujours ouvert. Tu es un modèle pour beaucoup de gens !!
    La vie est encore longue, et tu auras l'occasion de vivre plein de nouvelles aventures ! Mais, comme tu le dis, tu auras appris beaucoup de choses sur toi-même, et c'est cela que tu apporteras dans tes bagages de la vie !
    Plein de bisous,
    M*

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